Nous étudierons ici la problématique d'un bailleur voulant imposer à son locataire l'exercice d'une activité de débitant de boissons, sans possibilité d'en changer. Cette question peut se poser si le bailleur des murs loue également une licence de débit de boissons au même locataire. Le bailleur souhaitera jumeler les deux baux pour éviter entre autres que la licence ne se périme pas par sa non utilisation.
En effet, si le fonds de commerce de débit de boissons a été fermé pendant plus de trois ans, l’article L.3333-1 du Code de la santé publique prévoit la péremption de la licence. Celle-ci conserve sa validité uniquement dans la mesure où le débit de boissons est exploité. Tout débit de boissons de deuxième, troisième ou quatrième catégorie qui a cessé d'exister depuis plus de trois ans est considéré comme supprimé et ne peut plus être transmis.
La difficulté d’imposer l’exploitation d’un débit de boissons (1) n’empêchera cependant pas de retenir une solution (2).
1. La difficulté d’imposer l’exploitation d’un débit de boissons
Le bail des murs commerciaux ainsi que celui de la licence doivent donc imposer l’exploitation d’un débit de boissons.
De façon générale, est-ce qu’en l'absence de clause particulière le lui imposant, le locataire est-il dans l'obligation d'exploiter ?
La jurisprudence a répondu par l'affirmative. Les locataires ont ainsi l'obligation légale d'exploiter dans les lieux un fonds de commerce conformément à la destination prévue au bail.
En effet, cette obligation d'exploiter peut être déduite des termes de l'article 1728-1 du Code civil, lequel oblige le locataire à user de la chose louée en bon père de famille en fonction de la destination qui lui a été donnée par le bail.
Il semblerait alors qu’un rappel contractuel de l’obligation d’exploiter n’ajouterait pratiquement rien aux obligations légales du preneur.
Cependant la plupart des baux comportent une clause type imposant au locataire de tenir son commerce constamment ouvert et achalandé.
En effet, la jurisprudence n'a pas toujours été dans le sens indiqué plus haut. La Cour de cassation, dans un arrêt du 15 mars 1989 déclarait ainsi que, l'exploitation du fonds ne figurant pas parmi les obligations expressément imposées au locataire dans le bail, la non-exploitation du fonds ne saurait justifier une demande en résiliation.
En l'absence de clause particulière, le risque est que la clause résolutoire de plein droit ne puisse jouer car, dans sa formulation habituelle, elle ne sanctionne en principe (sauf stipulation contraire) que la violation des obligations imposées par le contrat.
Pour répondre à notre problématique, l’acte devrait prévoir la résolution du bail en cas de défaut d’exploitation du fonds. Dès lors, il serait fondé à mettre en oeuvre la clause résolutoire afin de pouvoir rentrer en possession de son bien et permettre à nouveau l'ouverture et l'activité de débit de boissons.
Cependant, dans l'optique de lutter contre l'alcoolisme en diminuant le nombre des débits de boissons, le législateur a posé une disposition très originale tendant à favoriser la transformation des débits de boissons en d'autres commerces, et ce, sans qu’il y ait besoin de l'accord du propriétaire. L'article L. 3331-6 du Code de la santé publique dispose en effet que « Le propriétaire d'un local donné à bail ne peut, nonobstant toute convention contraire, même antérieurement conclue, s'opposer à la transformation, réalisée par le locataire ou le cessionnaire du droit au bail, d'un débit de boissons de 3e ou 4e catégorie, soit en un débit de 1re ou de 2e catégorie, soit en un autre commerce, à la condition toutefois qu'il ne puisse en résulter, pour l'immeuble, ses habitants ou le voisinage, des inconvénients supérieurs à ceux découlant de l'exploitation du fonds supprimé. »
En tout état de cause, si le débit de boissons peut être transformé en tout autre commerce, il ne peut l'être que dans la mesure où cette nouvelle activité ne présente pas « pour l'immeuble, ses habitants, ou le voisinage, des inconvénients supérieurs à ceux découlant du fonds supprimé ».
Lorsque le débit de boissons remplit les conditions exigées par l'article L. 3336-1 du Code de la santé publique, et que l’exploitant souhaite effectuer une transformation de son activité, il devra tout d'abord notifier son intention à son propriétaire par lettre recommandée avec accusé de réception (à défaut, il encourrait la résiliation de son bail). Si le propriétaire est d'accord, ils n'auront plus qu'à modifier le bail. Si le propriétaire estime que les conditions de l'article L. 3336-1 ne sont pas remplies, et notamment que les inconvénients de la transformation sont supérieurs à ceux présentés par le débit, il saisit le tribunal de grande instance qui statuera sur son opposition.
L'existence de l'article L. 3336-1 du Code de la santé publique constitue un avantage exorbitant du droit commun pour tout locataire exploitant un débit de boissons. En effet, cette faculté de déspécialisation légale qui va jusqu'à constituer un véritable « libre droit de cession du bail » au profit du locataire, confère au débitant de boissons une situation très privilégiée par rapport aux autres locataires commerciaux. Certains propriétaires ont vu dans ce texte un privilège qui pouvait justifier une majoration des loyers du débit de boissons. La jurisprudence a, à juste titre, réprouvé cette prétention en estimant que cette faculté de transformation « qui suppose l'abandon de la licence, ne peut être exercée qu'une fois, et dans les conditions légales strictes ».
Dans chaque cas, le juge devra analyser et comparer les inconvénients présentés par le débit de boissons, et ceux que peut présenter le nouveau commerce envisagé.
Sauf cette exception, le bailleur des murs commerciaux et de la licence ne pourra pas imposer le maintien d’un débit de boissons.
Si le locataire transforme son activité, la licence ne sera plus exploitée et risquera de se périmer au bout de trois ans. Afin de garantir la substance de la licence louée le preneur doit s’engager à ne pas laisser la licence se périmer par sa non-exploitation.
Toutefois il est possible d’interrompre ce délai.
En effet il appartient au débitant, pour traduire sa volonté d’éviter la péremption et d’interrompre le délai, de procéder effectivement à une réouverture provisoire de son établissement qui permet, seule, en dehors de la force majeure, d'éviter la péremption. La durée de la réouverture d'un débit inexploité n'est pas fixée par une disposition légale. Cependant, elle doit être suffisante pour qu'il n'existe aucun doute sur la réalité de la remise en exploitation et la volonté du débitant de maintenir l'existence de son établissement. La réouverture une seule journée, le constat d'huissier, ou encore une déclaration de chiffre d’affaire ne peuvent faire revivre un fonds de commerce non exploité. En revanche, la réouverture provisoire du débit pratiquée en cours de travaux et avant que celui-ci ait cessé d'être exploité depuis plus de trois ans a justement pour objet de manifester la volonté du débitant de maintenir l'existence de son établissement. Dans ces conditions, une telle réouverture apparaît comme de nature à interrompre la péremption de la licence.
Pour ce faire, il peut être prévu dans l'acte que le preneur exploitera la licence sans pouvoir cesser ladite exploitation pendant une durée continue de douze mois par exemple, tout en rappelant que ce délai ne pourra pas être interrompu ou suspendu suite à une reprise d’exploitation pendant quelques jours et de façon isolée.
Le bail de la licence doit donc prévoir une clause résolutoire si le preneur ne respecte pas cet engagement.
Toutefois, le fait que la jouissance de la licence soit restituée au bailleur, si le preneur transforme son commerce, ne résout pas tous les problèmes.
2. La solution retenue
Si à première vue aucune solution réellement efficace n'existe, une précaution peut être prise pour éviter une transformation. En effet, une certaine difficulté est apparue pour les établissements mixtes, comme un café-restaurant ou encore un hôtel-bar. La question s'est posée de savoir si le locataire d'un établissement peut transformer en un tout autre commerce, l'ensemble de son établissement, y compris l'activité hôtel ou restaurant, ou bien si l'article L. 3331-6 du Code de la santé publique vise uniquement la partie débit de boissons de son établissement ? La Cour d'appel de Paris décida qu'il fallait donner à ce texte une interprétation extensive allant dans le sens de la volonté du législateur et que, dans un établissement mixte, le locataire pouvait transformer la totalité de l'établissement, y compris les activités qui ne sont pas celles, stricto sensu, de débit de boissons de troisième ou quatrième catégorie. En revanche, la majorité des Cours d'appel a préféré une interprétation très restrictive plus conforme avec les principes (l'article L. 3331-6 du Code de la santé publique, texte d'exception, doit être interprété restrictivement) et avec le principe de la force obligatoire des contrats. Une décision du Tribunal de grande instance de Saint-Étienne du 8 juillet 1965 est même allée jusqu'à juger que la faculté de transformation était strictement personnelle au débitant de boissons, et que celui-ci ne pouvait céder son bail à un tiers qui y exercerait une activité différente.
Cette analyse restrictive est parfaitement résumée par un arrêt de la Cour d'appel de Grenoble du 15 février 1960, dont un extrait est ci-dessous littéralement retranscrit :
« Attendu que l'article 6 de l'Ordonnance du 7 janvier 1959 (article L. 3331-6 du Code de la santé publique) essentiellement dérogatoire du droit commun, doit s'interpréter restrictivement ; que si ce texte autorise la transformation des débits de boissons de 3e et 4e catégories, il ne permet pas la transformation d'un café-restaurant, l'exploitant de cet établissement fut-il titulaire d'une licence de 4e catégorie ;
Attendu que si, en application de l'article 6 de l'Ordonnance du 7 janvier 1959, le locataire est autorisé à procéder à la transformation de la branche d'activité « café », ce texte ne lui permet pas de supprimer la branche d'activité « restaurant », qu'il a, aux termes du bail, l'impérieuse obligation d'exploiter et au maintien de laquelle, la loi ne fait pas obstacle. »
L'interprétation restrictive ne fait plus de doute aujourd'hui depuis l'arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 1972, selon lequel l'article L. 3331-6 du Code de la santé publique, visant exclusivement les débits de boissons, ne peut jouer pour un restaurant dont l'exploitation conjointe est exigée par le bail.
Si le cas d'espèce le permet, le bail pourra être consenti pour l’exploitation conjointe de bar et de restaurant (ou autres services de restauration) à l’exclusion de tout autre.
Ainsi, suivant la jurisprudence ci-dessus étudiée, il ne sera plus possible pour le locataire de transformer son activité de débit de boissons, conjointe à son activité de restauration. De plus, dans le cas où il pourrait cesser uniquement l’activité de débitant de boissons, il serait illogique pour le locataire de continuer à exploiter un restaurant, lequel ne proposerait pas de boissons alcoolisées. Le bailleur serait donc garanti par les faits et la jurisprudence que ces locaux seront destinés à l’exploitation d’un débit de boissons.