Face à ses créanciers professionnels, comment un entrepreneur individuel peut-il protéger sa maison ou son appartement qui constitue sa résidence principale, ou plus généralement ses biens immobiliers non affectés à son exploitation?
Les articles 2284 et 2285 du Code civil disposent que « quiconque s'est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir » et que « les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ».
Un commerçant ou encore un artisan agissant comme entrepreneur individuel engagera la totalité de son patrimoine dans le cadre de son activité professionnelle, contrairement à une personne exerçant sous le couvert d’une société à responsabilité limitée.
A noter que constituer ce type de société limite la responsabilité surtout en théorie, car les créanciers, notamment les banques, demanderont souvent à ce que le dirigeant se porte caution. De plus, en cas de comptabilité mal tenue, les juges pourront retenir la confusion des patrimoines pour engager les biens personnels du dirigeant.
Plusieurs dispositions ont instauré des mesures destinées à protéger l’entrepreneur individuel.
La loi du 11 février 1994, dite loi Madelin, octroie à l’entrepreneur un droit de discussion sur ses biens professionnels. Ainsi, ses créanciers professionnels devront être désintéressés en priorité sur les biens professionnels de l’entrepreneur (biens nécessaires à l’exploitation) avant de pouvoir faire valoir leurs droits sur le reste du patrimoine.
Mais c’est surtout la loi du 1 août 2003 qui protège le plus efficacement (à défaut d’autres procédés) l’entrepreneur individuel en lui offrant la possibilité de déclarer sa résidence principale insaisissable, ainsi que l’ensemble de son patrimoine immobilier non affecté à un usage professionnel (loi du 4 août 2008). Cette déclaration connaîtra à court terme une alternative lorsque le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) sera applicable.
La déclaration d’insaisissabilité nous incitera à aborder les points suivants :-
- Bénéficiaires de la déclaration d’insaisissabilité
- Biens pouvant être déclarés insaisissables
- Effets de la déclaration d’insaisissabilité
- Comment déclarer un bien insaisissable
- Possibilités d’aménagements par le déclarant
- Entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL)
Bénéficiaires de la déclaration d’insaisissabilité
L’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit qu’une déclaration d’insaisissabilité peut être faite par une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante.
Si un commerçant, un agriculteur, un artisan ou un professionnel libéral peut déclarer insaisissable son domicile ou tous biens immobiliers non professionnels, qu’en est-il de l’auto-entrepreneur ?
Bien que n’étant pas tenu de s’immatriculer au registre du commerce et des sociétés, l’auto-entrepreneur semble vraisemblablement pouvoir opérer une déclaration d’insaisissabilité à l’instar des autres professionnels cités plus haut.
Biens pouvant être déclarés insaisissables
Initialement la loi du 1 août 2003 permettait à l’entrepreneur individuel de déclarer sa résidence principale insaisissable. A présent, cette possibilité est élargie à l’ensemble de ses biens immobiliers non affectés à un usage professionnel.
Lors de la déclaration d’insaisissabilité seront désignés individuellement les biens immobiliers objet de la déclaration. En cas d’une acquisition ultérieure d’un autre bien immobilier, l’entrepreneur devra faire une nouvelle déclaration d’insaisissabilité (s’il souhaite également isoler ce bien), sauf si cet achat est effectué par le moyen d’un remploi, auquel cas l’insaisissabilité se reportera automatiquement sur le nouveau bien immobilier.
Bien que la loi utilise la notion de « droits sur l’immeuble », la déclaration d’insaisissabilité est inapplicable sur un bien immobilier appartenant à une société civile immobilière, dont l’entrepreneur individuel serait associé.
Lorsque le bien immobilier n'est pas affecté en totalité à un usage professionnel, la partie non destinée à un usage professionnel ne peut faire l'objet de la déclaration que si elle est désignée dans un état descriptif de division. Toutefois, la domiciliation du déclarant dans son local d'habitation en application de l'article L.123-10 du Code de commerce ne fait pas obstacle à ce que ce local fasse l'objet de la déclaration, sans qu'un état descriptif de division soit nécessaire.
Effets de la déclaration d’insaisissabilité
Comme son nom l’indique cette déclaration rend insaisissable les biens immobiliers désignés dans l’acte. Les créanciers professionnels de l’entrepreneur ne pourront pas exercer un quelconque droit sur la résidence principale ou les autres biens immobiliers déclarés insaisissables.
Toutefois, la déclaration n’aura d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent postérieurement à la publication de la déclaration d’insaisissabilité.
De plus, la déclaration concerne uniquement les créances issues de l’activité professionnelle du déclarant.
On peut enfin rappeler que le conjoint de l’entrepreneur devra se garder de se porter caution si le bien déclaré insaisissable est un bien commun. Les créanciers garantis par la caution du conjoint auraient alors une possibilité d’évincer facilement l’insaisissabilité.
L’entrepreneur individuel conserve la libre disposition des biens immobiliers déclarés insaisissables.
Comment déclarer un bien insaisissable
La déclaration d’insaisissabilité doit obligatoirement être effectuée devant un notaire. Celui-ci procédera par la suite à la publicité de l’acte au Bureau des hypothèques compétent. Enfin, mention sera faite de la déclaration d’insaisissabilité dans un registre de publicité légale dans lequel est immatriculé l’entrepreneur individuel (à défaut d’immatriculation dans un tel registre professionnel, la déclaration doit être annoncée dans un journal d’annonces légales territorialement compétent).
Possibilités d’aménagements par le déclarant
L’entrepreneur individuel peut aménager sa déclaration pour l’adapter au mieux aux éventuelles évolutions de sa situation. Si le déclarant a la faculté de renoncer à tout moment à l’insaisissabilité de ses biens immobiliers, il peut également mettre en œuvre la renonciation uniquement pour certains biens, ou certains créanciers.
Cette plus grande liberté aboutit à créer une hiérarchie entre les créanciers professionnels, contraire à la motivation première de protection de l’entrepreneur. En effet, un créancier pourra par exemple demander (avec plus ou moins d’insistance) à l’entrepreneur individuel de déclarer insaisissables ses biens immobiliers, sauf à son égard. Par ce biais, le créancier en question primera les autres créanciers à qui l’insaisissabilité sera opposable.
Entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL)
A court terme, il sera possible d’opter pour le nouveau régime d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL). Ce nouveau régime, créant un patrimoine d’affectation, permettra notamment à l’entrepreneur de déclarer ses biens à usage professionnel, seuls biens saisissables par ses créanciers professionnels. Précision étant ici faite qu’il sera toujours possible d’utiliser la déclaration d’insaisissabilité, mais la création du régime d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) devrait rendre rapidement obsolète la déclaration d’insaisissabilité.