Une SCI est une société civile qui a pour objet la propriété et l’administration d’un ou plusieurs biens immobiliers. Son objet est exclusivement civil et la responsabilité des associés est indéfinie et non solidaire.
Par son immatriculation, la SCI acquiert une personnalité juridique distincte de celle des associés ; dès lors, elle a un patrimoine propre.
En droit français, le patrimoine étant l’un des attributs de la personnalité juridique, la création d’une SCI entraine la naissance d’un patrimoine nouveau. Le patrimoine social est donc rattaché à la personnalité morale de la société, il est autonome et différent du patrimoine des associés qui compose la SCI.
Cette création d’un nouveau patrimoine va permettre d’isoler les biens immobiliers à usage privé du chef d’entreprise et de les protéger des créanciers professionnels.
La personnalité juridique autonome de la SCI comme protection des biens immobiliers du chef d’entreprise
Le but est alors de rendre la SCI propriétaire du ou des biens immobiliers à usage privé que le chef d’entreprise souhaite protéger. Ce dernier sera seulement propriétaire des parts sociales de ladite société. Cela suppose dans un premier temps de trouver un associé car par principe une société nécessite au moins deux personnes. Cet associé pourra être par exemple un proche parent, époux ou concubin.
En cas de difficultés, les créanciers professionnels du chef d’entreprise ne pourront saisir que les parts sociales et non l’immeuble (sauf suretés prises directement sur le bien immobilier). Ils ne pourront vendre aux enchères que les parts sociales et non l’immeuble. Contrairement à une indivision, ils ne peuvent pas provoquer de partage.
Toutefois, cette saisie entraine l’indisponibilité des droits pécuniaires du débiteur saisi. Il ne pourra plus avoir droit aux dividendes. En cas de vente des parts, ces dividendes viendront s’ajouter au prix de vente et seront réparties entre les créanciers. Par contre, jusqu’à la vente des parts, le débiteur continuera à exercer les droits non pécuniaires attachés à ses parts sociales : droit de participer aux assemblées et de prendre part au vote, droit d’obtenir communication des rapports et autres documents sociaux destinés aux associés, etc. …
En pratique, cette situation est très favorable pour le chef d’entreprise en difficulté car la mise en vente aux enchères des parts sociales sera beaucoup plus délicate et aléatoire que la mise en vente directe de l’immeuble, en raison notamment de l’intuitu personnae qui domine les SCI. En effet, le chef d’entreprise ne sera propriétaire que d’une partie des parts sociales. Même si c’est la majorité des parts qui sont saisies, trouver un acquéreur pour le créancier sera particulièrement difficile car l’acquéreur potentiel n’exercera pas un contrôle direct sur l’immeuble, il sera soumis aux règles statutaires et devra partager le contrôle de la société avec l’associé du chef d’entreprise. Ceci n’est « pas très vendeur ». De plus, la cession des parts sociales, même forcée, nécessite un agrément de la part des autres associés.
C’est pourquoi il faut prévoir des statuts sur mesure instituant une société très fermée et dans laquelle, de nombreuses décisions devront être prises à l’unanimité, ce qui freinera les potentiels acquéreurs.
Par ailleurs, la mise en société est d’autant plus défavorable pour les créanciers car en général la valeur des parts sociales est inférieure de 10 à 20% à la quote part correspondante de l’immeuble social. Cela s’explique, là encore, par le fait que ces sociétés sont très fermées et que l’acquéreur des parts ne pourra pas disposer librement de l’immeuble. La valeur réelle de tels droits sociaux correspond rarement à leur valeur mathématique. De plus, la SCI peut être titulaire d’engagements divers en tant que personne juridique autonome : elle a un passif propre, ce qui risque de réduire encore la valeur des parts sociales.
De même, les créanciers risquent de perdre définitivement la trace du patrimoine de leur débiteur. En effet, même si la constitution d'une société civile entraine l’accomplissement de certaines formalités de publicité, il sera plus difficile pour le créancier de connaître la consistance du patrimoine de son débiteur lorsque ce dernier aura constitué une société. De façon pratique, quand un créancier désire connaître le patrimoine immobilier de son débiteur dans un secteur géographique déterminé, il demande au bureau des hypothèques compétent une fiche au nom de ce débiteur, qui révèle toutes les transactions effectuées par cette personne. Si cette personne a constitué une SCI qui s’est portée acquéreur de l’immeuble, la fiche apparaîtra vierge.
Ces inconvénients pour les créanciers sont autant d’avantages pour le débiteur qui bénéficie ainsi d’une protection efficace, surtout que ce dernier conserve le contrôle de la société durant la saisie de ses parts sociales (seul ses droits pécuniaires sont indisponibles).
Ainsi, en cas de procédure collective, le bien immobilier est dans les faits hors de portée des créanciers. Le chef d’entreprise pourra continuer à en profiter car il conserve les droits non pécuniaires de ses parts sociales. Toutefois, si l’immeuble en question sert à de l’investissement locatif, toutes les dividendes revenant au chef d’entreprise serviront à désintéresser les créanciers.
Toutefois, afin d’avoir un choix éclairé quant à la création ou non d’une SCI pour la protection de son patrimoine immobilier privé, le chef d’entreprise doit connaître les quelques inconvénients et dangers qu’entraine la détention des immeuble par une société civile.
Tout d’abord, la séparation de patrimoine résultant de la création d’une SCI écran a ses limites. En effet, constituer une SCI pour protéger son patrimoine privé avant d’être endetté est tout à fait louable. Le faire pour essayer d’échapper à ses créanciers déjà présents l’est beaucoup moins. Comment déterminer dans un tel schéma à quel moment la constitution d’une SCI est encore louable et à quel moment elle ne l’est plus ?
Si l’immeuble social n’a jamais fait partie du patrimoine du débiteur, la constitution d’une SCI ne devrait poser aucun problème, car le gage des créanciers ne sera pas amoindri, tout au moins, si le financement se fait grâce à l’intervention d’une banque.
Si l’immeuble social appartenait au débiteur, il faut distinguer l’époque où le transfert de l’immeuble à la SCI est intervenu. Si ce transfert a été fait antérieurement à la naissance des créances, le débiteur ne devrait pas être inquiété, par contre dans l’autre hypothèse, les créanciers pourraient essayer de remettre en cause l’apport, et ceci de plusieurs façons :
* La société fictive : les créanciers pourront essayer de démontrer devant les tribunaux que les éléments caractéristiques des sociétés n’ont pas été réunis et qu’en conséquence la SCI n’est qu’un montage fictif. L’annulation de la SCI leur permettra alors de retrouver leur action directe sur l’immeuble de leur débiteur. Il convient alors d’être vigilant sur le respect du fonctionnement normal de la SCI au cours de la vie sociale, l’absence de toute vie juridique étant l’un des révélateurs essentiels de la fictivité de la société. Il faut toutefois reconnaitre que la déclaration de fictivité d’une société reste exceptionnelle.
* L’action paulienne : Lorsqu’une personne fait apport de son bien à une société uniquement dans le but de le soustraire aux poursuites de créanciers, ceux-ci peuvent attaquer l’apport par la voie de l’action paulienne, afin qu’il leur soit déclaré inopposable. Les créanciers pourront alors soit saisir directement le bien apporté entre les mains de la société, soit obtenir réparation du préjudice que l’apport aurait pu leur causer. A la lecture de la jurisprudence, il semble que l’apport d’un immeuble à une SCI alors que les apporteurs ont déjà des dettes ne permet pas de réaliser en toute quiétude une séparation des patrimoines. C’est cette action qui sera la plus grande menace pour la SCI, c’est donc sur ce point que le chef d’entreprise devra être prudent.
L’action paulienne se prescrit par 5ans à compter du jour où le créancier a connu ou aurait dû connaître l’existence de l’acte frauduleux c'est-à-dire l’apport.
* En cas de procédure collective ouverte contre le chef d’entreprise dans le cadre de son activité professionnelle, l’apport pourra être annulé s’il a été effectué pendant la période suspecte, sur les fondements des articles L.632-1 et L 632-2 du code de commerce.
De plus le tribunal, se fondant sur l’article L 632-2 du code de commerce, pourra étendre la procédure à la SCI en retenant une confusion du patrimoine. Celle-ci est un classique du couple SCI-société d’exploitation que nous étudierons plus en détail dans la seconde partie.
À la lecture de ces inconvénients, faut-il conclure à l’inutilité, voire au handicap, de constituer une société civile ? Aucune des raisons invoquées dans la présente étude ne justifiera de ne pas constituer une société civile et de se passer des avantages incontestables qu’elle peut apporter. Toutefois, ces inconvénients seront à prendre en compte dans le cadre du conseil et devront être soulevés avec le client pour répondre au mieux à ses besoins.
La protection créée par la SCI n’est pas parfaite, mais elle permet d’isoler certains biens immobiliers du patrimoine du chef d’entreprise et de rendre plus difficile leur adjudication par les créanciers.