La Cour de cassation a rendu un arrêt important le 6 février 2025 (Cass., 3e civ., 6 février 2025, n° 23-18.360), rappelant le champ d'application de la suspension des effets de la clause résolutoire dans les baux commerciaux. Cet arrêt s'inscrit dans une volonté de protection renforcée des locataires commerçants en confirmant que le juge peut accorder des délais de grâce, quel que soit le manquement reproché au locataire.
Un arrêt conforme à l'évolution du droit des baux commerciaux
Historiquement, le décret du 26 novembre 1953 prévoyait que des délais suspendant les effets d'une clause résolutoire ne pouvaient être accordés qu'en cas de non-paiement du loyer. Cette approche restrictive a été abandonnée avec la loi du 31 décembre 1989, qui a supprimé la mention expresse du paiement du loyer, ouvrant ainsi la possibilité d'obtenir des délais de grâce pour toute infraction au bail.
L'arrêt du 6 février 2025 s'inscrit dans cette continuité législative. En l'espèce, un bailleur reprochait à son locataire la fermeture de son restaurant, en violation d'une clause imposant une exploitation continue. Le bailleur avait donc invoqué la clause résolutoire et assigné son locataire en constatation de la résiliation du bail. Ce dernier a demandé des délais pour reprendre son activité, invoquant l'article L. 145-41 du Code de commerce.
Une interprétation erronée de la cour d'appel
La Cour d'appel de Paris avait rejeté cette demande, estimant que la possibilité d'accorder des délais était limitée aux cas de non-paiement des loyers et charges. Cette interprétation s'appuyait sur l'article 1343-5 du Code civil, qui traite des obligations de sommes d'argent.
Cependant, la Cour de cassation a cassé cette décision en rappelant que l'article L. 145-41 du Code de commerce confère au juge un pouvoir général de suspension des effets de la clause résolutoire, quel que soit le manquement du locataire. Elle confirme ainsi une interprétation extensive, fondée sur la réforme de 1989.
Une cohérence avec la logique du droit des baux commerciaux
La position de la Cour de cassation se justifie par plusieurs considérations :
- Une protection équilibrée du locataire : La clause résolutoire constitue une sanction extrêmement lourde pour le locataire, pouvant entraîner la perte de son fonds de commerce. L'octroi de délais lui permet de se conformer à ses obligations.
- Une lecture logique du Code de commerce : Depuis la suppression de la référence au paiement du loyer dans l'article L. 145-41, rien ne justifie de restreindre son application aux seules obligations pécuniaires.
- Une continuité avec la jurisprudence antérieure : Dès 1992, la Cour de cassation avait adopté une interprétation extensive de ce texte (Cass., 3e civ., 15 janvier 1992, n° 90-16.625), et cet arrêt de 2025 ne fait que confirmer cette orientation.
Quelles conséquences pour les bailleurs et locataires ?
Pour les bailleurs, cet arrêt signifie qu'une clause résolutoire ne pourra pas être appliquée de manière automatique, même en cas de manquement non lié au paiement du loyer. Ils devront anticiper la possibilité que le juge accorde des délais, ce qui peut retarder une éventuelle reprise des lieux.
Pour les locataires, cet arrêt constitue une sécurité supplémentaire : en cas de difficultés, ils pourront solliciter des délais de grâce pour régulariser leur situation, y compris lorsque l'infraction porte sur une obligation autre que le paiement du loyer.